Cela n’arrive pas qu’aux autres ! 2 à 3 % des ventes immobilières font l’objet d’une préemption par la commune. Suffisant pour que l’acheteur ou le vendeur potentiel s’en préoccupe avant tout projet.

« C’est comme si le ciel m’était tombé sur la tête », se souvient Jean-Francois. Au printemps 2010, son projet de création d’une entreprise de photogravure est enfin ficelé. Pour le financer, il met en vente l’appartement de 80 m2 qu’il possède à Saint-Ouen (93). Un acheteur est trouvé à 325 000 €. Juste le temps de se réjouir car, début septembre 2010, Yann Guillaume reçoit un courrier de la mairie lui annonçant que celle-ci entend préempter le bien à 229 000 €. Stupeur. De nombreux propriétaires vivent ainsi la décision de la mairie. « C’est dommage, car il existe des moyens légaux pour atténuer le choc et l’affrontement entre la commune et les administrés, le premier étant de consulter les services d’urbanisme avant tout projet d’achat-vente. Le second de rassembler des éléments pour négocier le prix », avance un conseiller municipal de la banlieue marseillaise. Certes, la pensée de se confronter à la collectivité, avec en toile de fond l’image du pot de terre contre le pot de fer, n’est pas rassurante. À tort semble-t-il : l’examen des actions exercées devant les tribunaux par les particuliers montre qu’ils ne sont pas démunis contre les collectivités. Ainsi, Jean-Francois a obtenu en justice une compensation financière satisfaisante.

La commune n’est pas libre de faire ce qu’elle veut

Pas de préemption urbaine sans règle locale d’urbanisme : plan local d’urbanisme, PLU (anciennement plan d’occupation des sols, POS) ou carte communale. Ainsi en a décidé la réglementation française. C’est dans ces plans que l’on retrouve les indications concernant l’emplacement des nouveaux quartiers et des équipements publics projetés par la commune.

C’est donc la première étape en cas de vente : consulter les services d’urbanisme de la mairie. S’il n’existe pas de PLU, POS ou carte communale, la préemption est impossible, pas de souci. Mais en pratique, de nombreuses communes (et la plupart des grandes villes) ont élaboré l’un de ces instruments. « Ces plans partagent les communes en zones urbaines et non urbaines. Les communes peuvent exercer leur droit de préemption dans toutes les zones urbaines ; un droit simple ou renforcé, selon le degré de maturité du projet. Le droit renforcé autorise la commune à préempter toutes les catégories de biens. Le droit simple permet seulement l’acquisition des immeubles bâtis depuis plus de dix ans et non mis en copropriété », résume Yvon Goutal, avocat au cabinet Goutal, Alibert & Associés. Déterminer la zone où se situe le bien, ainsi que le droit de préemption rattaché, permet de se faire une première idée du risque.

La mairie préempte ? Tout n’est pas joué. Très peu de particuliers le savent, mais la commune n’a pas entièrement carte blanche pour fixer le prix d’acquisition d’un bien. Si les élus peuvent décider du montant lors de la délibération en conseil municipal, le prix de vente définitif demeure sous le contrôle du juge. En cas de désaccord, le vendeur peut ainsi demander au juge de l’expropriation (qui siège au tribunal de grande instance) de constater que le prix de cession proposé se révèle très inférieur aux prix du marché et solliciter une révision. Le montant prononcé par le juge s’imposera aux deux parties. « Dans la grande majorité des cas, le prix est réévalué par les juges », affirme Paul-Guillaume Balay, avocat au cabinet Fidal. Les tribunaux se basent sur les éléments remis par chacune des parties (prix de cession de biens équivalents vendus à proximité) pour apprécier au mieux la valeur vénale du bien. Il est, en outre, possible de s’adjoindre l’aide d’un expert judiciaire (compter plusieurs milliers d’euros). Attention, l’action doit être effectuée dans les deux mois qui suivent la notification de la préemption.

Les juges limitent les abus

Les jugements des tribunaux en témoignent : les dérives dans l’exercice du droit de préemption sont loin d’être marginales. Volonté de sélectionner les acquéreurs, d’agir comme un marchand de biens, voire de privilégier des « proches », amis politiques ou promoteurs, les motifs sont parfois bien éloignés de l’objectif imaginé par le législateur…

« On voit des communes, sans véritable projet, qui ne peuvent résister à la tentation d’acquérir un bien dont le prix est particulièrement intéressant ; un peu comme le ferait un marchand de biens. Mais les tribunaux administratifs ne l’entendent généralement pas ainsi », explique Benoît Jorion, avocat au cabinet Jorion. En 2010, une commune proche de Perpignan qui voulait préempter un terrain peu cher pour y construire un parking a dû y renoncer suite à une requête des vendeurs devant le tribunal de Montpellier. L’absence, avant la décision de préemption, de délibération relative au projet a suffi à démontrer un achat d’opportunité. L’identité des acheteurs étant souvent mentionnée par les notaires ou agences immobilières sur la déclaration d’intention d’aliéner (DIA, voir encadré “Préemption : déroulé et délais”), certaines collectivités préemptent pour évincer, en toute illégalité, une catégorie de population jugée indésirable (au nom de la mixité sociale, par exemple, mais aussi parfois pour des objectifs moins avouables comme le maintien d’une population électorale favorable). Depuis une vingtaine d’années, avec l’envolée du marché immobilier, un certain nombre de communes ont aussi été tentées de maîtriser les prix en utilisant la menace de préemption comme arme de dissuasion. C’est le cas de plusieurs communes de l’Est parisien (voir encadré “Maîtrise des prix : polémique en Île-de-France”).

Ceux qui contestent une décision ont leurs chances

Si l’on estime être victime d’un tel abus du droit de préemption, il est possible de saisir, dans les deux mois qui suivent la notification de la décision, le tribunal administratif pour demander l’annulation de la décision… « C’est la commune qui doit apporter la preuve de la légalité de sa décision. Sur le fond, elle doit démontrer que son projet est suffisamment défini et réel », indique Yvon Goutal. Mais avant de se lancer dans cette procédure relativement longue (un an minimum), mieux vaut s’assurer de son intérêt. Notamment au regard d’une action en révision du prix, beaucoup plus rapide. « Dès l’origine, nous contestions le motif de la préemption, qui consistait à récupérer notre terrain à bas prix pour le confier à une association locale de chasse », relate Martine G., dont le maire de la petite ville où elle vit en Bourgogne a préempté le terrain pour 70 000 €, alors qu’un acquéreur avait été trouvé pour le double. Cette voie peut aussi être envisagée pour les particuliers, très attachés à leur bien, qui souhaitent absolument le vendre à une personne identifiée. Ou encore pour les acheteurs qui voient leur projet d’achat tomber à l’eau et peuvent justifier d’un préjudice (fin de bail, crédit-relais en cours, etc.).

Mais dans tous les cas, il faudra que le caractère inexistant ou inadapté du projet de la commune soit établi. « Si la commune est dans l’incapacité de fournir le moindre élément : document de réflexion, étude technique, rapport de commission de projet, etc., cela suffit pour contester la réalité du projet. Pointer des contradictions (par exemple, plusieurs lieux annoncés dans les bulletins municipaux pour une même réalisation) peut être aussi décisif », précise Yvon Goutal.

Ajoutons qu’un certain nombre de décisions ont été annulées par les tribunaux administratifs en raison d’erreurs de procédure, ce qui a ouvert un champ assez large aux avocats. « La procédure de préemption est soumise à un formalisme lourd, cela explique aussi le taux de succès des actions contre les collectivités », commente Paul-Guillaume Balay. Dernière possibilité : la procédure en dommages et intérêts déposée devant le juge de l’expropriation. Elle peut être lancée après la décision de la commune d’exercer son droit de préemption. Elle vise à indemniser les préjudices subis par les particuliers du fait de la mesure de préemption (par exemple, l’annulation d’une promesse de vente en cas d’achat/vente, le coût d’un crédit-relais, des pertes de chances, etc.).

Préemption : déroulé et délais

Le vendeur, agent immobilier ou ­notaire doit adresser à la commune une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) avant toute vente. La commune a deux mois à compter de la réception de la DIA pour préempter. L’absence de réponse du vendeur pendant deux mois après notification de la ­décision de préemption équivaut à un refus. La commune dispose alors de quinze jours pour saisir le juge de l’expropriation pour qu’il se prononce sur le prix. Les particuliers peuvent aussi contester le prix dans un délai de deux mois après notification de la préemption. Ou bien demander ­l’annulation de la décision devant le tribunal administratif dans ce délai.

Agent immobilier : quelle commission ?

Les vendeurs qui voient leur bien préempté par la mairie doivent-ils malgré tout payer une commission à l’agent immobilier qui leur a présenté un acquéreur ? Oui, a tranché la Cour de cassation (3e ch. civ. 26/7/07). Mais que se passe-t-il si la commune préempte sans que l’agent immobilier n’ait trouvé un acheteur, ou plus précisément avant qu’un compromis de vente ait pu être signé ? On ne dispose pas de décision de la Cour dans ce cas. Mais, en matière ­de droit de préemption du locataire, les décisions de la Cour de cassation (Civ. 1re, 17/12/08) sont sans équivoque : un agent immobilier ne peut prétendre à ­rémunération s’il délivre seulement une offre de vente au profit d’un locataire titulaire d’un droit de préemption. Pour les juristes de l’Anil (Agence nationale d’information sur le ­logement), en toute ­logique la même solution doit s’appliquer en cas de préemption par la mairie. Consulté par Que Choisir, René Pallincourt, président de la Fnaim (principale fédération des agents immobiliers) a été très clair : « Envoyer une ­déclaration d’intention d’aliéner à la mairie alors qu’aucune promesse de vente n’a été signée est un non-sens pour moi. Je ne vois pas comment on peut justifier, dans ce cas, une commission d’agence. » Il y a pourtant des situations où l’agent exige une commission alors qu’aucun acheteur n’a été présenté. ­Interrogé sur la pratique le directeur du réseau Guy Hoquet, n’a pas le même avis : « L’agent a droit à honoraires s’il remplit le rôle d’intermédiaire, notamment s’il a présenté un acquéreur (qui peut être la mairie) au ­vendeur. » Il faudrait s’entendre…

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Maîtrise des prix : polémique en Île-de-France

Le débat au sujet de la politique ­menée par certaines communes de la petite ­couronne parisienne (Saint-Ouen, Saint-Denis, Champigny, etc.) reste vif. Pour les maires qui utilisent la préemption afin de maîtriser les prix, il s’agit de préserver la mixité sociale : « Si nous n’avions pas mis en place cette politique, beaucoup d’habitants auraient dû quitter Saint-Ouen », affirme Jacqueline Rouillon, maire de Saint-Ouen, dans le dernier numéro du journal de la ville. Les ­opposants s’émeuvent, eux, de ses ­effets pervers : clientélisme, dessous-de-table… sans compter la situation difficile de certains vendeurs. Mauvaise surprise pour les tenants de la procédure, plusieurs décisions des tribunaux administratifs l’ont déclarée illégale. « Peu après l’envoi de la DIA (voir encadré “Préemption : déroulé et délais”) à la mairie, nous avons reçu, en juin 2010, un courrier nous demandant d’appeler le service foncier de la ­commune, lequel nous a informés que celle-ci renoncerait à préempter en cas de baisse du prix de vente, qui était de 179 000 €. Nous n’avons pas obtempéré et la commune a préempté à 109 000 € ». C’est sur la base de ce témoignage, étayé par la chronologie des courriers, que le tribunal de Montreuil a estimé qu’il existait un faisceau d’indices ­permettant de considérer que la ­décision de préemption avait pour ­objet d’empêcher la vente au prix de 179 000 € et était donc illégale. Un ­certain nombre de communes adeptes un temps du système ont aujourd’hui jeté l’éponge. C’est le cas de la ville de Pantin, dont le maire PS Bernard Kern, élu en 2008, estime que « préempter à tout-va sans moyen de transformer le bien, notamment l’habitat indigne, n’est pas une solution à terme. Je préfère agir uniquement en négociant avec les promoteurs pour obtenir une production de logements à des prix accessibles à toutes les classes sociales. »

*Source : Que Choisir